Mercredi 17 septembre, 40 députés ont déposé une proposition de loi « tendant à élargir les conditions de dissolution des associations ou groupements de fait tels que les groupes « antifas » » ; on pourrait en rire, si la démarche ne s’inscrivait pas dans un mouvement plus vaste de criminalisation de l’antifascisme de la part de ses ennemis déclarés, qu’ils appartiennent ou pas aux partis de gouvernement.

La proposition est un complément à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, sous la forme de deux alinéas qui viennent ajouter à la liste des personnes concernées celles « qui portent atteinte à l’intégrité physique des forces de Police ou de Gendarmerie » et celles « dont les agissements entraînent une dégradation, destruction ou détérioration de biens appartenant à autrui. » Rien de très nouveau dans la course au tout-répressif, si ce n’est de spécifier dans la rédaction de la proposition qu’elle concerne en particulier les groupes « antifas », alors qu’on aurait pu légitimement attendre qu’elle désigne les producteurs d’artichauts… Mais en regardant d’un peu plus près la liste des signataires, on comprend mieux la logique de la démarche.
Commençons par les absents : ni Jacques Bompard, ni Marion Maréchal-Le Pen, ni Gilbert Collard ne sont signataires de la proposition. C’est à de braves députés « républicains » que l’on doit cette l’initiative. Petite revue de certains signataires :
Premier de la liste, Yannick Moreau est un député de Vendée, ancien du MPF aujourd’hui à l’UMP dans le courant de la « Droite forte », et qui s’est fait remarquer en tant que maire d’Olonne-sur-Mer pour avoir remplacé sur la mairie le drapeau de l’Union européenne par celui de la Vendée.
Véronique Besse, député et responsable du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, est présidente d’un groupe d’études sur les chrétiens d’Orient (Etienne Blanc, un des autres signataires de la proposition, était lui en Irak dans le groupe UMP qui accompagna François Fillon en Irak) . Rien d’étonnant à ce qu’elle évoque la fameuse « théorie du genre à l’école » lors de l’une de ses interventions à l’Assemblée nationale…
Meyer Habib, vice-président du CRIF (et conseiller de B. Netanyahu) était membre de l’OJC, Organisation Juive de Combat, avait fait une autre proposition de loi visant à criminaliser l’antisionisme, prenant comme modèle la loi Gayssot sur le négationnisme. Cet été , il avait qualifié les accrochages aux abords des manifs de soutien à la Palestine de « nuit de cristal », oubliant au passage le rôle de la LDJ dans les violences, et choquant une partie de la communauté juive par ce « raccourci » historique. Rudy Salles est lui aussi soutien indéfectible à Israël, allant jusqu’à soutenir Tsahal pendant les bombardements de Gaza, et président sur Nice Côte d’Azur de la très réactionnaire Association France-Israël de Gilles-William Goldnadel.
Gérald Darmanin, député du nord, directeur de campagne de Christian Vanneste en 2007, avait demandé en 2012 à la ministre des Sports d’« interdire le port du voile sur les terrains de football de notre pays ». Un vrai professionnel des propositions de loi du mieux vivre ensemble !
Lionel Luca, comme un autre signataire bien connu de la proposition, Thierry Mariani, fait partie de la Droite Populaire, le courant ultra réac de l’UPM (pour la peine de mort, contre l’avortement, l’immigration…) ; il était autrefois proche du couple Pasqua-de Villers, et plus tard de Debout le République de Dupont-Aignan ; enfin, c’est un soutien des mouvements pied-noirs et rapatriés, et l’animateur de la campagne contre le film Hors la Loi, avec des manifs communes à Marseille avec le FN.

Pour le reste, pas grand-chose à dire : on a multimillionnaire qui a fait fortune dans l’immobilier (Philippe Briand), des soutiens de Sarkozy, beaucoup de membres de la Droite populaire, en particulier parmi ceux qui se sont opposés aux sanctions contre la Russie…
Cette initiative, aussi ridicule qu’elle puisse
sembler, s’inscrit dans un contexte qui montre quelle place occupe
aujourd’hui l’antifascisme dans les représentations des forces
politiques, particulièrement à droite, sans même que le Front national
n’occupe le moindre poste à responsabilité au sein de l’État.
Dans les années 1990, alors que le Front national
connaissait une forte progression de ses scores électoraux et qu’il
avait réussi à mettre la main sur plusieurs mairies de villes moyennes,
l’antifascisme, qu’il soit républicain ou radical, apparaissait comme
une composante légitime du paysage politique français. Il n’était pas
rare de voir des affrontements lors des déplacements électoraux de
candidats FN, affrontements n’impliquant pas que des militants mais
aussi souvent, la population du quartier (cf. caravane électorale de
Martine Lehideux pour les législatives de 1997 à Paris). De son côté,
J-M. Le Pen, secondé il est vrai du DPS, le service d’ordre du FN, ne
rechignait pas à faire le coup de poing, comme à Mantes-la-Jolie le 30
mai 1997. À cette époque, l’opposition à l’extrême droite, quand bien
même elle prenait la forme d’une opposition physique à la présence de
ses représentants, n’était pas systématiquement suivie d’une répression
féroce.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : non seulement la
répression sanctionne systématiquement les antifas quand ils osent
s’opposer véritablement à l’extrême droite, mais, plus significatif,
l’opposition concrète à l’extrême droite est parfois présentée comme un
reflet de la violence d’extrême droite (renvoyant ainsi racistes et
antifascistes dos à dos), voire comme une atteinte à la liberté
d’expression (le racisme, le sexisme ou toute autre forme de discours
discriminant devenant une opinion parmi d’autres).
Contrairement à ce que les médias ont voulu nous
faire croire lors de la mort de Clément Méric, l’antifascisme autonome
d’aujourd’hui ne renoue pas avec les pratiques des bandes de la fin des
années 1980, mais se situe dans la continuité de l’antifascisme radical
des années 1990 et 2000. Si l’on met de côté les actions revendiquées
FTP à Marseille à la fin des années 1990, qui s’inscrivaient dans un
contexte local particulier, l’antifascisme radical n’a pas
fondamentalement changé dans ses modes d’action depuis cette époque.
Or, on constate que depuis le début des années 2000,
la répression frappe plus fortement qu’avant les militants
antifascistes. On peut ainsi rappeler la condamnation de quatre
militants qui s’étaient opposés à la propagande homophobe du Bloc
Identitaire en juin 2004 sur le marché du Cours de Vincennes à Paris (4
mois de prison avec sursis et de forts dommages-intérêts) ou encore
celle de deux autres militants opposés à SOS Tout-Petits (2 mois avec
sursis et 800 euros de dommages-intérêts) le 13 septembre 2006. Suite à
la venue à Toulouse de Jean-Marie Le Pen le 25 mars 2007, douze
personnes furent arrêtées et 5 condamnées à de la prison ferme: les
peines allant de 3 à 9 mois. En septembre 2008, en deux jours, à Paris
et en banlieue parisienne, on compte trois cas de mise en garde à vue
pour des durées allant de 24 à 36 heures, et deux perquisitions de
domiciles avec de forts déploiements policiers, au prétexte que ces
trois personnes sont soupçonnées d’avoir participé à des actions
antifascistes au cours du mois de mai 2008, ayant permis d’empêcher coup
sur coup une manifestation où se retrouve la fine fleur des fascistes
français et un meeting du groupuscule néofasciste des Identitaires. Ce
genre d’opérations policières avaient d’ailleurs déjà été menées un an
auparavant à Lille, et à Limoges et Bordeaux. Depuis, on ne compte plus
les gardes à vue et condamnations qui concluent de façon
quasi-systématique les actions antifas, en particulier en région
parisienne.
Cette répression de la part de l’État ne concerne
bien entendu pas que les antifascistes, car elle s’inscrit dans un
mouvement plus général visant à empêcher de toute forme de contestation
sociale qui sorte un tant soit peu des formes généralement admises,
comme les manifs sauvages, les actions d’occupation ou auto-réduction
etc. Mais on peut lui trouver des facteurs d’explication propres. En
effet, l’antifascisme comme question politique « légitime » a disparu à
partir de la scission du Front national en 1999. Alors, l’essentiel des
antifascistes républicains, dont l’action se limitait à appeler à des
fronts républicains afin de faire barrage au FN dans les urnes ont vu la
fin du danger que représentait l’extrême droite, alors que pour nous,
antifascistes radicaux, non seulement le FN bougeait encore, mais
surtout, ses idées continuaient à se diffuser dans le corps politique.
Toujours est-il que la disparition de cet antifascisme républicain a
sonné, dans l’opinion publique, le glas de la légitimité du combat
antifasciste en France aujourd’hui. En effet, le Front national s’est
totalement banalisé, le travail de dédiabolisation mené par Marine Le
Pen avec la complicité des médias ayant atteint son but : désormais, il
n’ y aurait plus de raison de vouloir lutter contre l’extrême droite et
ses idées, et il est donc possible de mener une répression les militants
antifascistes sans grand risque de choquer l’opinion.
Or, si l’on peut dire que l’extrême droite ne
présente pas forcément un risque politique majeur dans l’immédiat, elle
représente, du fait de l’institutionnalisation du FN et de la
multiplication de petites structures plus ou moins éphémères, souvent en
concurrence les unes par rapport aux autres, un risque militant
indéniable. Les antifascistes doivent ainsi, dans le même temps,
développer des formes d’auto-défense efficaces tout en veillant à ne pas
se laisser prendre au piège de la répression, qui est pour l’État le
plus sûr moyen à la fois de décourager les militants, mais aussi de les
occuper en les obligeant à dépenser du temps et de l’énergie à organiser
la solidarité.
La Horde
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