samedi 7 juillet 2012

Théo Francos, militant antifasciste, avait survécu au peloton d’exécution en 1944

07/07/2012
Béatrice MOLLE
Une balle à quelques millimètres du cœur. Théo Francos, Bayonnais de 98 ans, est décédé cette semaine. Avec cette balle dans le thorax que lui avaient logé les troupes allemandes le 30 septembre 1944 à Arnhem (Pays-Bas), il avait 30 ans. Cette balle, il ne se l’est jamais fait enlever. “C’est ma plus belle décoration”, avait-il coutume de dire.
En septembre 1944, il faisait partie d’un commando de 37 hommes chargé du sabotage des lignes allemandes. Faits prisonniers, les 37 hommes, dont Théo, seront amenés au peloton d’exécution le soir même. “Quand les Allemands ont pointé les mitraillettes vers nous, j’ai vu le visage de ma mère et les tours de la cathédrale de Bayonne.” Les autres sont morts, mais Théo en réchappe, la balle amortie par son insigne se fiche dans son thorax, entre l’aorte et le cœur. “Gravement blessé, j’ai été jeté comme mort dans la fosse avec mes camarades décédés. Les Allemands ne nous avaient pas donné le coup de grâce ni recouvert nos corps de chaux. Le miracle, c’est qu’un couple de paysans hollandais passa par là pour commencer sa journée, des gens courageux et surtout de braves gens qui m’ont récupéré, caché et soigné pendant trois mois jusqu’à ce qu’un avion vienne me chercher pour me ramener en Angleterre. Cette balle, c’est ma plus belle médaille”, expliquait ce nonagénaire alerte que nous avions interviewé à son domicile il y a quelques années.
Neuf ans de combat
Fils d’immigrés espagnols, né à Valladolid en 1914, Théo, à peine âgé d’un mois, suivra ses parents venus travailler à Bayonne. Il ira à l’école jusqu’à 12 ans, et à 16 ans rentre aux Jeunesses communistes. En 1936, il a 22 ans et part à Madrid s’engager dans les Brigades internationales, ulcéré par le soulèvement militaire franquiste et farouchement décidé à défendre la République. Il sera de tous les combats : Madrid, Tolède, Guadalajara, Teruel, l’Ebre, la Catalogne, Barcelone. Il passera 14 mois dans les prisons franquistes, s’évadera plusieurs fois, notamment du terrible camp de Miranda de Ebro, puis sera repris et torturé. En juin 1940, il débarquera à Saint-Jean-de-Luz. “Je partais d’un enfer fasciste et les nazis arrivaient en France. Je suis parti rejoindre les Forces françaises libres à Londres”. Il intégrera l’école de parachutisme de Manchester où il sera formé aux opérations de sabotage. En 1944, il participe à la bataille du Monte Cassino, le tout entrecoupé de missions en France, Belgique, Italie et dans le désert de Libye. La guerre se termine en 1945 et Théo reviendra à Bayonne après neuf ans de lutte. Celui qui se définissait comme pacifiste devra se battre encore plusieurs années pour récupérer sa véritable identité, lui, le clandestin affublé de toutes sortes de patronymes durant son parcours de combattant. “C’est le 16 juin 1947 que j’ai pu enfin récupérer mon vrai nom et la nationalité française”, dira-t-il. Il se mariera à Bayonne et fondera une famille. En 1950, il reprendra son métier de serveur ; il avait 36 ans. Retraité, il vivait au neuvième étage d’un HLM à Bayonne, entouré par sa famille. Un héros modeste qui n’avait pas renoncé au combat pour la liberté. Ni au tabac. “J’ai souvent désobéi dans ma vie, au parti, mais je garde mes idées communistes et antifascistes. L’engagement, c’est la plus belle chose au monde. Il faut être discipliné, mais aussi désobéir. J’ai toujours dans ma chambre le portrait de la Pasionaria [Dolores Ibarruri, dirigeante communiste] à qui j’ai désobéi en 1938. Elle voulait qu’on se retire de Barcelone, mais je suis resté.”
On ressortait revigoré d’un entretien avec Théo Francos, homme qui enchaîna la guerre d’Espagne comme brigadiste international puis la Seconde Guerre mondiale comme résistant. Sans forfanterie ni amertume, avec la conviction d’avoir fait ce qu’il devait. Et cette balle juste à côté de son cœur qui, disait-il, lui donnait la force de vivre. Et de se battre encore. “No pasarán.”

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