samedi 16 juin 2012

Hongrie : Le test qui choque !

Articlé du journal "LE Monde"

Fac-similé du certificat fourni par le laboratoire hongrois et publié sur un site d'extrême droite.
Fac-similé du certificat fourni par le laboratoire hongrois et publié sur un site d'extrême droite. | kuruc.info

Le certificat ressemble à n'importe quel résultat d'analyse médicale. Sous le logo et le nom du laboratoire, Nagy Gén Diagnosztika, le document décline la nature exacte de l'examen génétique mené, la date et le lieu où il a été pratiqué. Le client, dont le nom a été effacé, est un député du Jobbik, le parti d'extrême droite hongrois. Le résultat, lui, détonne : "Aucune trace génétique d'ancêtres juifs ou roms."

Publié en mars sur un site Internet d'extrême droite qui le qualifiait de "noble", le fac-similé de ce "test de pureté génétique" a provoqué un scandale scientifique et politique en Hongrie. Dans un pays où l'extrême droite est la troisième force politique, et dans un contexte où la dérive droitière du gouvernement Orban a été dénoncée dans toute l'Europe, l'affaire a provoqué de vives réactions.

LE LABORATOIRE INVOQUE "DES RAISONS ÉTHIQUES"
Le laboratoire à l'origine du test a subi les foudres de la presse. Dans un communiqué publié sur leur site Internet, les responsables de Nagy Gén Diagnosztika ont affirmé que leur entreprise "rejetait toute forme de discrimination et n'avait pas le droit en ce sens de juger la motivation pour laquelle un individu demande un test", concluant simplement que "pour des raisons éthiques, nous n'avons donc pas pu refuser de fournir ce test". Le directeur du laboratoire a même invoqué le malentendu et la mauvaise interprétation du test pratiqué.
Pour ajouter à la polémique, le triple champion olympique de water-polo, Tibor Benedek, qui a, un temps, détenu des parts minoritaires dans le laboratoire, a été pris à partie. Le sportif d'origine juive s'est défendu d'avoir jamais eu connaissance de ces pratiques, et a rappelé qu'il s'était défait de ses parts au mois de mai.
"ÉVITER TOUTE RÉSURGENCE DE RACISME SCIENTIFIQUE"
Les institutions publiques et scientifiques ont également promptement condamné la pratique. Le directeur de l'institut de génétique de l'Académie hongroise des sciences, István Raskó, a qualifié ce test de "non-sens", affirmant qu'il est "impossible de déduire des origines ethniques d'après des variations génétiques dans le génome". L'affaire est en tout cas "très préjudiciable pour les cabinets spécialisés dans la recherche génétique", a souligné le spécialiste.
Le Conseil scientifique de la santé, qui assiste le gouvernement hongrois sur les questions de santé, a pour sa part dénoncé "une supercherie" scientifique et a saisi, mardi 12 juin, l'office du Procureur général hongrois, pour porter l'affaire en justice. "Nous avons aussi informé le gouvernement, car nous estimons qu'une telle pratique est inacceptable et inconcevable, d'un point de vue légal comme professionnel", a expliqué le professeur Jozsef Mandl, secrétaire du Comité scientifique.
Pour Paul Gradvohl, spécialiste des civilisations d'Europe centrale et maître de conférences à l'université Nancy-II, cette unanimité s'explique par "l'urgence d'invalider le fondement scientifique du test, afin d'éviter toute résurgence des thèses du racisme scientifique".
"GLISSEMENT DE LA SCÈNE POLITIQUE HONGROISE VERS LA DROITE"
L'extrême droite hongroise est coutumière des polémiques antisémites (lien abonnés), mais la publication de ce test constitue une "première", selon Antonela Capelle-Pogacean, chargée de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po. Si elle met en garde contre une trop grande médiatisation, elle souligne que "l'affaire prouve que l'extrême droite est capable de se saisir des registres les plus divers pour promouvoir ses idées".
Alors que la Hongrie a récemment adopté une nouvelle constitution aux accents très nationalistes, ce nouveau scandale illustre "le glissement de la scène politique hongroise vers la droite", avec un Jobbik, force parlementaire depuis 2010, dont le discours extrémiste "multiplie les risques de dérapage". Antonela Capelle-Pogacean se félicite cependant de l'unanimité de la condamnation de ce "test de pureté ethnique", car "il a montré que le clivage très fort entre la gauche et la droite peut être dépassé dans des cas extrêmes".
Le Jobbik, qui avait fait une percée spectaculaire lors des élections législatives de 2010, remportant 47 sièges à l'Assemblée nationale, n'a jamais caché ses convictions antisémites et anti-Roms. Ce nouveau scandale "est comparable aux polémiques régulières lancées par le Front national français pour séduire la partie la plus extrême de son électorat", analyse Paul Gradvohl. Les deux partis entretiennent d'ailleurs des relations ambiguës. Mais la banalisation de ce discours, dont la diffusion de ce test est "une nouvelle preuve", "fait reculer les limites de ce qui peut être dit dans l'espace public", note Antonela Capelle-Pogacean.

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