jeudi 22 novembre 2012
Interview IPEH Antifaxista EKAITZA
Faire barrage
à toute forme de fascisme
Les mouvements d’extrême droite et les théories issues du creuset fasciste se répandent de plus en plus, en Europe occidentale notamment. Iparralde n’échappe pas à ce phénomène, notamment avec l’organisation d’une manifestation anti-IVG qui rassemblera tout ce qui se fait de plus rétrograde au casino Bellevue. On ne peut ignorer ces mouvements dont l’audience s’accroît avec la crise, en particulier grâce à un discours ambigu destiné à attirer les mécontents. Nous avons rencontré deux membres du Comité antifasciste d’Iparralde* pour faire un état de la situation.
Ekaitza : Pourquoi avoir créé un groupe antifasciste en Iparralde ?
Militants antifa : Le groupe a commencé il y a un an et demi. Nous étions partis du fait que le secteur de la lutte antifasciste en Iparralde était en manque d’organisation, même abandonné par tous les partis. Et au vu de la recrudescence de l’extrême droite en Europe, nous nous sommes décidés à créer ce groupe en Iparralde.
Á la base nous étions plutôt un groupe d’amis, dans la sensibilité antifasciste. Nous en avions parlé auparavant, lorsque nous avons lancé le groupe, il y avait déjà plus de six mois qu’il était en gestation. Nous venions tous d’horizons militants différents. Et au travers de nos discussions, nous nous apercevions qu’il y avait ici un grand vide. Alors, en toute modestie, nous nous sommes lancés dans ce combat, sachant que l’antifascisme ce n’est pas seulement virer les fachos des bars. C’est intervenir sur le plan politique, au niveau des idées, des comportements. Il s’agit de ramener ce débat sur la place publique et à terme, en prenant de l’importance, l’objectif est d’interpeller des organisations de la vraie gauche sociale afin qu’elles n’oublient pas que ce sont des revendications qu’il faut porter en permanence.
Ekaitza : Selon vous, pour quelle raison n’y avait-il pas ici de mouvement travaillant sur cette lutte spécifique ?
Militants antifa : Á l’époque de Gazteria, la lutte antifasciste était une priorité. Auparavant, il y avait eu Patxa. Par la suite d’autres priorités ont apparu par rapport à la situation actuelle du Pays Basque et cette lutte a été un peu oubliée.
Le problème, c’est que le mouvement abertzale est confronté à une telle répression. Ce secteur mobilise une partie du mouvement. Ils ont été obligés de recentrer sur certaines priorités. Malheureusement, les gens voient la lutte antifasciste comme une lutte à part alors qu’elle est inhérente à la lutte des classes. Quand nous nous déclarons groupe antifasciste, nous nous battons contre le capitalisme, contre le sexisme, contre les discriminations sur la préférence sexuelle et contre le racisme, sous toutes ses formes. C’est quelque chose de global, ouvert à toutes les bonnes volontés. Il n’y a pas de professionnels de l’antifascisme.
Dès le départ nous ne voulions pas d’une étiquette politique pour s’ouvrir plus largement. Il y a parmi nous des libertaires, des anarchistes, des communistes, des militants sensibilisés à l’antifascisme, à la lutte sociale, à la lutte des classes.
Ekaitza : Quelles sont vos activités ?
Militants antifa : Nous avons organisé le festival antifasciste à Sare. C’était la deuxième édition avec l’après-midi un village associatif où nous avions invité la Cimade, les antifascistes d’Hegoalde, Aides, Ahaztuak, Indar Beltza, etc. Dans les semaines qui arrivent, nous avons le 9 novembre la commémoration de la nuit de Cristal qui se déroulera à Saint-Jean-de-Luz qui correspond au moment où les nazis ont commencé à pourchasser les juifs ainsi que les élus communistes et même sociodémocrates. Ce rassemblement aura lieu dans toutes les capitales du Pays Basque. C’est une organisation commune avec Sare Antifaxista.
Nous allons contacter le plus d’organisations susceptibles d’être sensibilisés par cet événement. C’est aussi pour rappeler aux gens comment ça a commencé, quand on voit la tournure que prend la situation en Grèce, il y de quoi s’inquiéter. Après le rassemblement, nous organisons, en collaboration avec le gaztetxe de Donibane Ziburu, une antifa gaua au gaztetxe d’Acotz. Il y aura un visionnage de vidéo avec débat et ensuite un concert avec plusieurs groupes de musique.
Il y a ensuite le 1er décembre avec la conférence organisée par Mgr Aillet, évêque de Bayonne, où il a invité ce qui se fait de pire dans la mouvance pro-vie ou anti-IVG. Il y a des intervenants américains, espagnols faisant partie de l’Opus Dei, l’institut Civitas, donc des catholiques intégristes français.
C’est le planning familial qui a pris l’initiative de réagir avec des groupes féministes avant de s’élargir à plus organisations et partis. Il y aura un texte commun signé par toutes ces organisations. Le forum a été baptisé Colloque international pour la vie. Cette convention est contre l’avortement, contre les mariages gays, contre l’adoption par des parents homosexuels et les fécondations in vitro.
Civitas explique que la France est et restera catholique et ils refusent la laïcité. Il y a trois ans qu’ils ont commencé leur marche pour la vie. La première édition avait rassemblé à Bordeaux environ deux mille personnes. Nous avions réagi avec le collectif antifasciste et des militants d’extrême gauche et nous étions environ deux cents. C’était restreint. L’année d’après, avec le planning familial, les mouvements féministes, des élus, Verts, communistes et socialistes, le rapport était inversé, nous étions deux mille et ils étaient quatre cents.
Pour le colloque, ce n’est plus le diocèse de Bayonne qui organise la convention, des paroissiens ont dit qu’ils ne voulaient pas participer à ce genre de manifestation, c’est l’Académie diocésaine pour la vie. Le forum aura lieu au casino Bellevue et apparemment, Didier Borotra ne voit pas ça d’un bon œil. Il faut savoir que ce n’est pas la mairie mais l’office du tourisme qui gère la location du Bellevue et Didier Borotra a appris l’événement par la presse.
D’autres élus sont moins regardants. Á Bordeaux, aux côtés de SOS tout petits, il y a la communauté intégriste de saint Éloi, installée là par Juppé, c’était une église vide qu’ils ont occupée. Juppé a signé pour qu’ils puissent l’intégrer. Ils ont ouvert leur école. Et aujourd’hui, ils ont la possibilité d’organiser des manifestations du même type que celle de Biarritz. Ils font des prières, protégés par la police, parce que des militants viennent, de manière ironique, gonfler des capotes qu’ils leur envoient dessus ou chanter « Ah, si Marie avait connu l’avortement, on n’aurait pas tous ces emmerdements », c’est provocateur mais ça reste humoristique. Le responsable local de SOS tout petits à Bordeaux est l’avocat du Front national.
Nous pensons qu’il faut aussi que des organisations moins radicales s’adressent à la communauté catholique en leur demandant si c’est cette image qu’ils veulent véhiculer. Parce qu’il y a aussi des catholiques progressistes qui vivent leurs responsabilités, ceux qui participent aux cercles de silence pour les sans-papiers.
Ekaitza : Á part un texte commun, comptez-vous intervenir sur place ?
Militants antifa : Il devrait y avoir un rassemblement. Le planning familial a demandé l’autorisation à la sous-préfecture pour que le préfet et le sous-préfet aient l’information et qu’ils se positionnent par rapport aux troubles de l’ordre public. Bien que nous sachions que pour le risque de trouble de l’ordre public, c’est nous qui risquons l’interdiction.
Il faut savoir que les pro-life ont des militants et que l’un d’eux vient d’être condamné aux États-Unis pour avoir tué des médecins pratiquant l’avortement. Nous avons insisté sur ça, les personnes qui viennent ne sont pas des enfants de chœur.
Ekaitza : Est-ce que vous pensez qu’en Pays Basque, le poids de cette Église rétrograde est en train de grandir, au-delà de la présence de l’évêque de Bayonne ?
Militants antifa : On connaît, en Pays Basque les rapports qu’il y a eu entre les prêtres et les militants, même clandestins. Là, on a à faire à une Église en croisade. Le Pays Basque est pour eux une terre chrétienne et ils sont dans un esprit de reconquête. En plus, avec la situation actuelle, la crise, les gens ont besoin de se tourner vers quelque chose. Il y a la lutte contre l’islamisation. C’est comme cela que l’on voit, en Angleterre notamment, des anciens nazis et des sionistes intégristes se rassembler autour de cette lutte, à l’intérieur de l’English Defense League on voit cette ambivalence sous prétexte de se tourner vers les vrais ennemis. Mais si l’on regarde bien, le Front national comme la droite sont sur ces bases. En particulier la droite populaire de Mariani où l’on trouve beaucoup d’ancien d’Occident ou du GUD, comme Larcher, Longuet ou Devedjian.
Le problème, c’est qu’au sein de l’Église catholique, en tant qu’institution politique, le terrain est préparé depuis des décennies. Et ici, nous pensons qu’ils ont clairement en tête les endroits où ils sont en perte de vitesse sur ces idées, et lorsqu’il y a renouvellement de curé, pour départ à la retraite, ils envoient des jeunes qui sont plus dans cette mouvance. L’évêque qui va arriver à Bilbo est clairement de l’Opus Dei, c’est aussi une stratégie des gouvernements. Ce n’est pas anodin de mettre à Donosti ou à Bilbo des évêques de ce type, ils sont en guerre sainte, en croisade. Et sur ce terrain anti-islam, ils retrouvent l’extrême droite radicale.
Ekaitza : Vous êtes en relation avec d’autres groupes antifascistes ?
Militants antifa : On est en relations avec Sare Antifaxista au sud, mais aussi avec Madrid, Bordeaux ou Toulouse, les villes où il y a des traditions antifascistes qui ont perduré. No Pasaran et le Scalp ont été créés à Toulouse où il y a aussi une tradition libertaire, comme ici où Patxa a assumé la responsabilité de la lutte antifasciste. Il y a une coordination qui s’est montée, il y a peu, en réaction a une série d’agression, pour essayer de relancer les liens entre tous les groupes antifascistes de l’État français. Nous avions parlé de les rejoindre en tant que partenaire international.
Ekaitza : Quels sont les mouvements fascistes radicaux en activité aujourd’hui ?
Militants antifa : Il y a une section Pyrénées, Troisième Voie avec Serge Ayoub. La bande à Serge Ayoub, ce sont tous les vieux, les anciens de la JNR. Le discours d’Ayoub, c’est un discours de préférence nationale, mais révolutionnaire. Il a le culot de citer des gens comme Proudhon sur la lutte des classes, ils sont nazis, nationaux socialistes. En Italie, les fachos de Casa Pound se sont construits sur des pratiques et des valeurs de l’extrême gauche ou libertaires avec des centres sociaux autogérés, mais à préférence nationale.
Le bloc identitaire est sur une autre base, la triple identité, locale, nationale et européenne. Ils sont sur les racines chrétiennes. Ici, par exemple, ils sont attachés à la culture basque, mais ils sont Français. Ils se disent basques, mais ne sont pas pour la promotion de l’euskara. Ils sont favorables à une collectivité territoriale basque. Ils ont adressé un message aux musulmans du Pays Basque, au nom des basques avec des propos menaçants. Et il y a des gens qui sont prêts à adhérer à cette idée. Ici ce sont les plus dangereux, ils sont jeunes, en particulier par rapport aux militants du FN qui perd de ses forces vives radicales en essayant de lisser l’image du parti. Sur la mosquée de Bayonne, ils sont d’ailleurs en désaccord, le bloc identitaire y est opposé alors que le FN explique que la France est un pays laïque et que toutes les religions ont droit d’avoir un lieu de culte. Pour eux le problème vient d’avant, pas d’immigration, pas de mosquée. Ils préfèrent avoir un islam français plutôt qu’un islam de France. C’est-à-dire que des mosquées construites sous l’égide de l’État, cela permet un contrôle du discours transmis dans les mosquées et des courants internes. Selon eux, ça permet d’enrayer l’intégrisme.
Ensuite, il est facile de dénoncer l’islamisme, récemment une page sur Facebook a dû être fermée, mais la même chose concernant les juifs serait impensable, on se retrouve de suite accusés d’antisémitisme. Alors qu’il ne s’agit pas d’attaquer les gens qui ont une pratique spirituelle dans leur coin, mais de combattre les religions lorsqu’il y a organisation dans un esprit de lobbying politique pour prendre le pouvoir. Lorsqu’on s’attaque aux catholiques ça passe, aux intégristes musulmans encore mieux, on te déroule le tapis rouge, mais dès qu’il s’agit des sionistes ça devient plus compliqué. Le bloc identitaire se déclare français de souche, ils s’appellent eux-mêmes les « souchiens. » Une militante toulousaine a parlé d’eux en ces termes et elle s’est fait attaquer pour incitation à la haine, accusée d’avoir dit « souchien » en deux mots. La mouvance antifasciste s’est mobilisée pour soutenir cette militante qui a été relaxée, mais le Parquet fait appel, sous la pression des identitaires et de l’AGRIF. Ça ressemble au cas de Saïd Bouamama et de Saïdou chanteur de Zep qui avaient écrit un livre « Nique la France, devoir d’insolence » un titre volontairement provocateur. Le Parquet a accepté de les mettre en examen pour ça, sous la pression de l’AGRIF. Et la militante toulousaine a été récemment attaquée par la LDJ de façon violente. Cela montre les liens entre la LDJ et les organisations d’extrême droite, à Paris notamment. Ils sont proche des identitaires, pas de la bande d’Alain Soral par exemple qui lui, est pro-palestinien, au nom de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il est nationaliste, gauche des combats, droite des valeurs, c’est leur slogan et national socialiste. Son mouvement et les identitaires sont en désaccord. Ils se sont donc rapprochés de la bande de Serge Ayoub.
Il y a deux extrêmes droite radicale qui montent, qui sont en désaccord mais qui peuvent potentiellement se rassembler. Il y a une carte qui est très bien faite, par le Scalp et Réflexe. C’est une cartographie de l’extrême droite du plus petit mouvement au parti organisé qu’est le front national et tous les liens directs et indirects qu’il y a entre eux. Il y a aussi les logos qui permettent d’identifier les groupes, le sanglier du bloc identitaire ou la fourmi du Mouvement d’action sociale qui sont anticapitalistes, contre l’impérialisme qui pourrait au départ passer pour un mouvement d’extrême gauche. On n’est pas dans le schéma traditionnel du cliché du militant du FN, ancien de la guerre d’Algérie, du SAC, nationalistes mais profondément de droite sur les valeurs sociales. Maintenant il y a des nationaux socialistes. C’est un peu le reflet de la crise, comme ce qui se passe en Grèce.
Ekaitza : Merci beaucoup et bonne continuation.
* ipehantifaxista.blogspot.com
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